Retour sur la rencontre avec Sylvette Toche

Une cinquantaine de paroissiens ont bravé l’hiver pour venir écouter Sylvette TOCHE, secrétaire de la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Église (CIASE) lundi 17 janvier 2022.

 

 

Sylvette TOCHE a souligné en introduction, en tant que non pratiquante, le courage de l’Eglise Catholique d’être la première institution à traiter le sujet en faisant appel à une commission indépendante, à la suite du refus du Sénat de créer une commission d’enquête parlementaire.

 

La CIASE, créée en novembre 2018 et présidée par Jean-Marc SAUVE, a fait travailler pendant 3 ans 21 personnes bénévoles ayant des origines et des compétences différentes pour une approche multidisciplinaire. Même la parité H/F a été respectée !

 

Les travaux se sont déroulés en plusieurs phases :

3 mois de réflexion pour définir le sujet et la méthodologie

De quoi parle-t-on ? les abus sexuels dans l’Eglise Catholique de France et la façon dont celle-ci a traité le sujet sur une période d’observation très longue (1950 à 2020). La France de 1950 était encore coloniale et la notion de personne vulnérable très différente de ce qu’elle est aujourd’hui.
Méthode : d’abord donner la parole aux victimes, consulter les archives, interroger les prêtres abuseurs et l’institution Eglise.

Les victimes

Les premiers travaux ont consisté en des appels à témoignage avec l’aide des médias et de France Victimes. Une plateforme téléphonique a fonctionné de juin 2019 à septembre 2020. La commission s’est aussi déplacée dans les territoires (sauf en PACA à cause de la pandémie).
3 000 témoignages environ ont été obtenus (plus de 2 000 victimes et 800 témoins proches) par des binômes d’écoutants.

 


L’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) a mené deux enquêtes

  • Auprès des personnes qui ont répondu (non représentatives de la population)
  • En population générale (28 000 personnes).

A partir de ces enquêtes, l’INSERM a évalué le nombre de victimes de prêtres en 70 ans à 216 000 et si on ajoute les abus par des laïcs dans le cadre de l’Eglise à 300 000 victimes.

 

Durant cette même période on estime à 5,5 millions de personnes (10 % de la population d’adultes) le nombre total de victimes d’abus sexuels. Abus perpétrés d’abord en famille, puis par des amis puis par des proches puis en institution. Mais l’Eglise est de loin l’institution où le plus grand nombre d’abus ont eu lieu (deux fois plus qu’à l’école), avec cette caractéristique que les victimes sont à 80 % des garçons, alors dans tous les autres lieux les victimes sont principalement les filles.

 

La Commission Indépendante sur l’Inceste et les VIolences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE) créée par l’Etat a repris la méthodologie de la CIASE.

Les prêtres agresseurs

  • Analyse d’archives dans les diocèses et les instituts religieux, les archives de la justice (autorisation donnée par le ministère de la Justice) et celles de la presse.
  • Entretiens qualitatifs par l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE)
    • Prêtres agresseurs
    • Prêtres et séminaristes
  • Analyse de 30 dossiers d’archives judiciaires par un psychologue.

La conclusion de cette partie de l’enquête est que le nombre plancher de prêtres abuseurs est de 3 000. La réalité est certainement supérieure car

  • Il s’agit d’un secret partagé : pour diverses raisons les victimes n’ont pas parlé (honte, amnésie traumatique) ou n’ont pas été entendues par leurs parents ou l’affaire a été étouffée par l’institution voire par l’Etat. Il y a eu très peu de plaintes à la justice.
  • La majorité des abus est constatée dans les années 50 – 60, il y a un effondrement dans les années 70 – 90 une remontée dans les années 2000 et un plateau depuis.
    La principale raison est que dans les années 50 – 70 les prêtres enseignants étaient nombreux, depuis il y a moins de prêtres, qui ont moins de contacts avec les enfants.

L’institution Eglise

4 groupes de travail ont été créés à partir des travaux de l’INSERM et de L’EPHE

  • Droit canonique – droit étatique : la loi nationale impose qu’un crime soit signalé
  • Evaluation des mesures prises par l’Eglise : grande hétérogénéité
  • Victimes et réparation : en premier, reconnaître qu’ils sont victimes et qu’on ne peut pas faire n’importe quoi avec un enfant. Ensuite seulement parler de réparation.
  • Gouvernance de l’Eglise : analyser théologique et ecclésiologique, dont il ressort que l’évêque est très seul (le prêtre aussi est très seul) et cumule tous les pouvoirs, ce qui n’est pas raisonnable.

Echanges avec l’assemblée :

De nombreuses recommandations sont faites dans le rapport et ses annexes (pavé de 2 500 pages).

 

Un certain nombre concernent les prêtres : discernement lors de l’entrée au séminaire (la vocation ne fait pas tout, la personne est-elle en mesure de faire face à ses difficultés personnelles ?) ; formation ; accompagnement ; contrôle de l’éloignement si problème.

 

Le rapport met aussi en évidence que les violences sexuelles sont souvent liées à la manipulation par emprise spirituelle et abus de pouvoir. Cela a été découvert au fur et à mesure, par les abus sur adultes.

 

La prévention consiste à cesser de considérer le prêtre comme étant en position « surplombante » et à préparer les enfants, leur apprendre à refuser.

 

La commission Cristnacht est saisie des cas des prêtres agresseurs après leur condamnation par la justice et émet des recommandations. Un suivi peut-il être organisé ?

 

Une recommandation du rapport sur le gouvernement de l’Eglise est de séparer les pouvoirs et d’augmenter la collaboration prêtres – laïcs.

 

La rencontre se termine avec cette question : quelle(s) suite(s) donner dans nos paroisses à cette soirée riche d’enseignements et de réflexions ?

 

 

Henriette BROS-LEMOINE